28 avril 2010

Le goût.


Satisfaction subjective

Naturellement, il nous faudrait manger pour satisfaire un besoin physique de survie, pourtant, la plupart du temps nous mangeons pour satisfaire notre subjectivité et un besoin affectif. Dans la tradition française de table, le manger fait partie de la vie sociale. Rarement on mange en solitude, surtout s'il existe la possibilité de partager la table.
Comme disait Chatillon-Plessis, « Pour bien manger il faut être au moins deux, au plus douze. Seul à table, le dîneur souffre de ne pouvoir parler des satisfactions ressenties. En trop nombreuse compagnie, il risque d’être distrait des méditations que les mets doivent inspirer » (10).
Cette subjectivité de l'alimentation est à l'origine du développement de l'art culinaire. Dès la création de l'aliment à partir du produit de la terre jusqu'au développement de la cuisine et des manières de table, toutes les étapes sont empreintes de ce besoin de satisfaire l'esprit et les émotions. C’est la naissance du développement du goût.

Le goût est la vedette dans l'évolution de la cuisine française. Le goût est le résultat d'une culture, des mœurs d'un peuple, des essais et des échanges culinaires millénaires. La géographie et le climat jouent le rôle de base dans le développement du goût régional. Les produits qu'offre la nature acquièrent ou perdent de prestige grâce aux caprices du goût. Comment peut-on le justifier? Le goût n'est que l'affaire de l'imaginaire sensible des êtres humains. Le paysage et la météo déterminent souvent la relation de l’homme avec les aliments et le développement des goûts variés. L’emmagasinage pour la consommation pendant le reste de l’année après la saison de la récolte ou de la production joue aussi un rôle crucial dans l’estimation de certains aliments. Les Français développent et perfectionnent plusieurs méthodes de conservation : la fermentation, le séchage, la fumaison, la préservation, la confiture. C’est là où l’art se perfectionne, l’expérience se manifeste et l’appréciation augmente, donnant naissance au raffinement de la table française. 
Cuisine lourde versus cuisine légère
Les régions de climat doux préfèrent sur la table des légumes et fruits frais produits dans ces climats tièdes, chauds ou tempérés par l’humidité de la mer. Par exemple sur la Méditerranée en Provence, on préfère les légumes vertes fraîches qui offrent aux méridionaux le luxe du mesclun, une salade des feuilles vertes et jeunes qui peut inclure la laitue romaine, la frisée, la feuille de chêne, le cerfeuil, l’endive, le cresson, la trévise, le pissenlit, la sucrine, la scarole, le mâche, le pourpier, et la rouquette. Mais le végétal favori des mets provençaux est la tomate, paradoxalement fruit d’origine américaine, encore une fois, présent cru, farci, cuit, en sauces, dans la ratatouille ou dans le coulis de la canette –une préparation de blanc de canard. Alphonse Daudet loua le goût provençal : « ne me parlez pas de viandes lourdes, de pommes de terre, de pesants rôtis. Un anchois écrasé sur de pain, des olives, des figues, un aïoli, voilà mes préférences » (cité par Roqueplo 535). Dans tous ses écrits il semble exalter et confondre l’exubérance de couleurs avec la lumière du soleil plus intense dans le Midi : « les orangers en fleurs et en fruits brûlaient leurs parfums d’essences » (cité par Roqueplo 530). Il n’est pas le seul à jouir de cette table en même temps légère et désirable : Dans Paradis, Colette met en évidence le contraste marquant entre la table nordique et la méridionale : « Au touriste anglais ou américain je prônerai l’excellence de quelque vieux plat provençal, les vertus de l’ail, la transcendance de l’huile d’olive, et ma fidélité aux trois légumes inséparables, vernissés, hauts en couleur comme en goût : l’aubergine, la tomate et le poivron doux. » (Prisons et Paradis).
Au contraire, les mets nordiques de « viandes lourdes et grosses » accompagnées de pommes de terre, fournit la chaleur, la ‘brûlure’ intérieur qui compense pour les froids hivers. Le beurre et le lait complètent la provision alimentaire normande et bretonne, qui fait régner les crêpes et omelettes sur leur table. Le même principe s’impose aux régions montagneuses où l’on sort du fumoir une variété de délices, on se régale des charcuteries, on emmagasine des calories avec des plats de fromage fondu, viandes fumés et pommes de terre tels que la raclette.
La pomme de terre nous mérite un point particulier, puisque la pomme de terre peut se conserver emmagasinée longtemps que les légumes frais, et nourrir pendant les longs mois de l’hiver. Malgré cette avantage, ce produit n’était pas accepté comme nourriture humaine à son arrivé en Europe en provenance des Amériques au XVIe siècle, et pendant presque trois siècles, sinon plus, elle demeure « nourriture de cochons » (Flandrin 729). C’est grâce à Parmentier qu’elle devient nourriture de base en France et cela après le XVIIIe siècle. Il réussit à dissuader la croyance populaire qui y voyait une matière bonne à panifier, et conseille son utilisation dans la préparation des mets, dont les fameuses « pommes de terre à la Parmentier ». Lorsque, comme d’habitude, plus tard « les grands seigneurs comprennent les profits qu’ils pouvaient en tirer », et que la revendiquent à table, le reste de la société l’accepte, méritant alors participer à leur banquet (Flandrin 729). Le peuple français peut se vanter d’avoir bien employé le temps en révolutions de longue durée. L’histoire ne devrait pas omettre celle de la pomme de terre.
Le goût est alors produit, développé et satisfait par la terre.

Roqueplo, Thérèse. « Alphonse Daudet et la gastronomie. » Revue des sciences humaines. Faculté des Lettres, Lille, France. 120 (1987) : 529-535.
Flandrin, Jean-Louis & Massimo Montanari Ed. Histoire de l’alimentation. Fayard, Paris, 1996. ISBN 2-213-59457-0.
Chatillon-Plessis, La vie à table à la fin du XIXe siècle. Firmin-Didot, Paris, 1894.

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