29 janvier 2010

Les arômes de la cuisine

 
Merci pour la photo à www.thym-thym.blogspot.com



Le beurre qui fond sur la poêle, l’aïl qui dore dans l’huile d’olive, le café expresso qui vient de monter dans la cafetière, le porc qui rôtit dans le four, le pain chaud, le vin rouge qui l’arrose tout, ont quelque chose en commun qui garantit leur entrée dans le corps… par le nez ! Leur arôme caractéristique qui les fait si désirables, si irrésistibles, si convoités.


Son système digestif préparé, l’eau à la bouche, une petite sensation de vide à l’estomac, le convive devient impatient. Une fois la nourriture devant lui, tout est prêt pour éprouver le plaisir. La nourriture est cette maîtresse qu’il caresse, qui le caresse à l’intérieur, recharge son énergie, le réconforte, le comble de bienêtre, le relaxe.
  "Les coudes à l’aise. Un air tiède, libre d’arômes inquiétants.
Des parfums de fleurs, discrets, invitant les nerfs au repos, sans les paralyser.
De la lumière. Une chaise large, robuste, sans étoffes.
Nul excès d’appétit, mais un sincère désir d’apprendre, de goûter, d’apprécier.
Nous y sommes.
Aucune préoccupation d’ordre étranger aux plaisirs préparés.
Le cerveau n’a plus à provoquer des sensations, à les rechercher,
à les deviner, il n’a qu’à les attendre.
A la porte de la salle à manger, les bruits du monde se sont éteints, évanouis.
Ce n’est plus pour la société, pour la patrie ou pour les affaires
qu’on va doucement travailler ; c’est pour soi.
Tâche sainte.
Recueillons-nous."
(Chatillon-Plessis La vie à table, 4.)

   

27 janvier 2010

Convivialité


Personne ne doute que la gastronomie française est sûrement connue dans le monde entier, appréciée, renommée et copiée dans beaucoup de pays comme l’expression la plus développée de l’art de la cuisine. Pour quoi la gastronomie française a-t-elle atteint ce degré de perfectionnement ?

Naturellement, il nous faudrait manger pour satisfaire un besoin physique de survie, pourtant, la plupart du temps nous mangeons pour satisfaire notre subjectivité et un besoin affectif. Dans la tradition française de table, le manger fait partie de la vie sociale. Rarement ils mangent en solitude, surtout s'il existe la possibilité de partager la table, même avec un inconnu. 
Dans son œuvre A table ou les Plaisirs de la gourmandise, Léon Daudet écrivait : « La table, la bonne table, c’est la santé, la famille, l’amitié » . Pour les Français, les plaisirs de la table doivent être partagés. En famille ou entre amis, « en dépit de ses rivalités, disputes et heurts de caractère », la convivialité est l’ingrédient primordial d’un repas. La famille traditionnelle réserve le temps à table moins pour restaurer les énergies perdues avec les activités physiques de la journée, que pour restaurer les rapports émotionnels et sociaux par la conversation animée et plaisante. Comme disait Chatillon-Plessis, « Pour bien manger il faut être au moins deux, au plus douze. Seul à table, le dîneur souffre de ne pouvoir parler des satisfactions ressenties. En trop nombreuse compagnie, il risque d’être distrait des méditations que les mets doivent inspirer » (La vie à table à la fin du XIXe siècle).

Cette subjectivité de l'alimentation est à l'origine du développement de l'art culinaire. Dès la création de l'aliment à partir du produit de la terre jusqu'au développement de la cuisine et des manières de table, toutes les étapes sont empreintes de ce besoin de satisfaire l'esprit et les émotions.

Tout d’abord, le rapport particulier des gens avec l’aliment mérite une étude approfondie. Il est évident que les Français ont une relation distincte et caractéristique envers l’alimentation. Le visiteur étranger remarque immédiatement la longueur du séjour des convives à table. Les plats arrivant au rythme tranquille de la conversation animée, l’apéro, le plat principal, la salade, les fromages, le dessert, le café, sont des acteurs à tour de rôle sur la scène du déjeuner ou du diner. Les individus partagent le plaisir d’être ensemble, de voir, de sentir, de savourer, de toucher, dans un ensemble de sensations qui font de l’expérience un échange émotionnel, physique, vivant, réconfortant non seulement au niveau corporel mais aussi spirituel. On mange pour vivre, non seulement pour survivre ! La nourriture ne vous donne seulement la vie mais vous fait sentir vivant par les sensations éprouvées. Le partage de la nourriture est probablement le présent le plus apprécié que les Français se font entre eux dans la journée.

Cette attitude envers l’alimentation influence grandement la manière de traiter les produits de la terre. Le goût français a transformé la cuisine et la table en un art, voire une science, avec des codes, des manières propres, des « secrets » qui passent de génération en génération non seulement de bouche à oreille mais dans le comportement des individus.

La vue

Même sur la table quotidienne la plus simple, le plat le moins élaboré, le Français attend une présentation visuelle capable de « vous mettre l’eau à la bouche ». Cette présentation visuelle a engendré une histoire de techniques indispensables basées sur la forme, la couleur, la texture et la taille. Le pain est le produit alimentaire quotidien le plus commun, il doit avoir une croute assez croustillante, et assez dorée, avec un intérieur assez mou pour révéler une fraicheur acceptable. Le bout d’une baguette restant le lendemain ne relève pas de l’envie de le manger. Il faut aller chercher une autre à la boulangerie.

Volaille de Bresse, synonyme de volupté

La poésie française consacre également la sensualité de la nourriture.

Gabriel Vicaire (1848-1900) :
La poularde
Naïve enfant de la Bresse,

Être honnête et succulent,
Qui t’enveloppes d’un blanc
Justaucorps de fine graisse,
Cousine des hommes gras
Dont notre pays fourmille,
On t’aime dans la famille,
Nous ne sommes point ingrats.
Ta respectable bedaine
Semble celle d’un gourmet.
Ta chair a comme un fumet
D’amourette et de fredaine.
Sur la fin d’un bon repas,
Quand je te vois apparaître,
pommard aidant, je crois être
transporté là-bas, là-bas.
Grands prés couleur d’émeraudes,
Bois feuillus, petits étangs,
Laboureurs du bon vieux temps,
Fortes mangeuses de gaudes,
Sous mes regards attendris
Tout le cher pays défile.
Quel air de bonheur tranquille !
Suis-je assez loin de Paris !
Puis, veux-tu que je te dise ?
J’ai (dame ! on n’est pas de bois)
Pour tes beaux yeux fait cent fois
Le péché de gourmandise ;
Dût mon curé m’en blâmer,
Jusqu’à mon heure dernière,
Ô poularde printanière,
Je me consacre à t’aimer !


Quel art est la cuisine?


Socrate : Demande-moi quelle sorte d’art est, à mes yeux, la cuisine.
Polos : Je te le demande donc : Quel art est la cuisine ?
Socrate : Ce n’est pas du tout un art, Polos.
Polos : Qu’est-ce donc alors ? Dis-le.
Socrate : Je dis que c’est une espèce de routine.
Polos : Appliquée à quoi ? Dis-le.
Socrate : Je dis : à procurer de l’agrément et du plaisir, Polos.
Polos : Alors, cuisine et rhétorique, c’est tout un ?
Platon (IV e siècle avant notre ère) Gorgias  (cité par Barrau 317).
Barrau, Jacques. Les hommes et leurs aliments : Esquisse d’une histoire écologique et ethnologique de l’alimentation humaine. Temps Actuels, Paris, 1983. ISBN 2-201-01621-6.