02 février 2011

En retard à l'avant garde: le repas français sacré par l'UNESCO

Quand j'ai commencé ce blog, le 12 novembre 2009, j'expliquais mon intention de découvrir ce rituel remarquable qu'est le repas français, de sonder un peu la culture française de la table gastronomique. Un an plus tard, exactement le 16 novembre 2010, l'UNESCO consacre "le repas gastronomique français" patrimoine culturel immatériel de l'humanité
Evidemment, il y a eu des chercheurs comme moi qui, depuis longtemps, travaillent dans l'investigation sérieuse de tous les aspects impliqués. Le mot "repas", banal et simple, est maintenant une fenêtre ouverte sur la vie quotidienne des Français. La consommation d'un repas comprend dès le travail et la production de la terre, l'élevage des animaux, jusqu'à l'art de les choisir, combiner, présenter et partager l'aliment, le savoir-faire et le savoir-vivre d'un peuple. Pourtant, en France un repas est moins pensé pour satisfaire un besoin physique qu'un social et emotionnel. 
J'ai eu le plaisir de lire sur le site de l'UNESCO le document de candidature dont je partage ici quelques citations:


"D’autres noms sont donnés couramment au repas qualifié de «gastronomique », un terme qui renvoie, dans la langue française, à la culture populaire du bien manger et du bien boire: repas festif, festin, banquet, gueuleton, bonne bouffe (dans les jeunes générations) où se pratique « l’art de la bonne chère ». C’est un repas festif par lequel elle célèbre, de manière ritualisée, les moments importants de la vie des individus et des groupes." Inscrit en tant que "pratiques sociale, rituel et événement festif", le repas français fait partie aussi cependant, d’autres domaines culturels, tels que "la tradition et les expressions orales -conversations de table, lexiques spécialisés-  les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers -choix des produits, connaissance des terroirs-" et j'ajouterai également les techniques d'élaboration, conservation et de l'art culinaire, étant ce dernier à mon avis, une des plus développées et des plus hautes expressions du sentiment populaire au monde. 
Le document  précise la définition:  "Le repas gastronomique des Français est une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes (naissances, mariages, anniversaires, succès, retrouvailles). C’est un repas festif réunissant des convives qui pratiquent ensemble, pour cette occasion particulière, « l’art de bien manger et de bien boire ». Cette pratique, très populaire et familière à tous les Français, se développe en France depuis des siècles. Elle se transmet et évolue en permanence. C’est une pratique sociale qui s’attache à une représentation commune du bien manger plutôt qu’à des mets particuliers. Son homogénéité dans toute la communauté provient :
- d’une part, du sens qu’elle lui donne : le bien être ensemble, l’attention à l’Autre, le partage autour du plaisir du goût, l’équilibre entre l’être humain et les productions de la nature ;
- d’autre part, des rites précis selon lesquels il se déroule : recherche de bons produits, référence aux corpus de recettes codifiées, savoir-faire culinaires, esthétisation de la table, succession des services, mariage des mets et des vins, conversations autour des mets."
La description spécifie la fonction sociale du repas en France dans ces termes: "Le repas gastronomique rythme la vie des membres de la communauté. Il resserre le cercle familial et amical et, au delà, renforce le lien social. Il constitue un repère identitaire important et
procure un sentiment de continuité et d’appartenance." Dans un monde en décadence morale et économique où les gens se trouvent plus séparés et solitaires que jamais, le repas français est l'exemple d'un outil effectif pour la cohesion et la solidarité sociales.

En tant qu'emblème d'identité culturelle, "le repas gastronomique s’attache à une représentation commune du bien manger plutôt qu’à des mets particuliers. Il se réfère à la culture gastronomique, très populaire, familière à tous les Français, transmise depuis longtemps de génération en génération et recréée en permanence, par exemple par l'apport de nouveaux savoirs et savoir-faire. Il est profondément ancré dans le patrimoine culturel immatériel des Français, leur procure un sentiment d’identité, d’appartenance. Ce sentiment est aussi nourri par le regard des étrangers qui y voient un marqueur de l’identité des Français." Il represente la survie du développement et l'évolution d'une ancienne civilization, il est le résultat d'une longue histoire de joies et de pénuries où tous les Français sont inclus. 
 
"Le repas gastronomique est une pratique sociale homogène dans toute la communauté. Cette homogénéité provient :
1) de son sens et de sa fonction sociale. Il a des fonctions culturelles fortes. Il symbolise l’équilibre entre l’homme et les productions de la nature, la convivialité, le bien être ensemble par la volonté commune du partage du plaisir du goût. Il resserre ainsi le cercle familial et amical et renforce le lien social.
2) de ses rites qui requièrent connaissances et savoir-faire. Son élaboration demande une anticipation. Sa préparation et sa consommation demandent un temps plus long que celui du
repas quotidien. Cette attention est destinée à honorer l’Autre du mieux possible. Il est ouvert à la diversité des traditions, des aliments et des cuisines, fondement de sa recréation permanente.
Il se déroule toujours selon les mêmes rites :
a) Etablir à l’avance un menu inhabituel en se référant aux corpus de recettes qui s'enrichit en permanence.
b) S’approvisionner en bons produits, prévoir l’accord des saveurs.
c) Marier mets et vins.
d) Respecter une même structure : ouvert par l’apéritif, clos par le digestif, il comporte des services successifs : entrée, poisson et-ou viande avec légumes, fromages, desserts. De quatre minimum, le nombre de services peut aller jusqu’à cinq ou six selon les circonstances.
e) Esthétiser la table selon le goût français « classique » (symétrie à partir du centre). Elle comporte nappe, serviettes (art du pliage), objets aux formes adaptées à chaque service et étudiés pour sublimer les goûts. Selon l’apparat, on trouve deux à cinq verres, plusieurs assiettes et couverts, parfois un menu écrit. Les places à table peuvent marquer le statut (hiérarchie, genre).
f) Sa consommation s'accompagne d’une gestuelle : humer, goûter, découper à table les grosses pièces (viande, gâteaux, etc.) selon des gestes codifiés symbolisant le partage dans l’unité du groupe. Elle s'accompagne aussi d’expressions orales : parler à table de ce que l’on mange et boit, montrer par les mots d’un lexique spécifique qu’on apprécie le repas. Ce que la communauté nomme « le discours gastronomique » est une composante de la fonction sociale
de l’élément. Pour ne pas rompre cette communication, les convives restent à table après les desserts. Parfois, il arrive que des chants accompagnent le repas.
Le repas gastronomique est profondément ancré dans le mode de vie de la communauté. Il conjugue traditions populaires et savantes ; transcende coutumes vernaculaires, générations, milieux sociaux, opinions ; s’adapte aux convictions religieuses et philosophiques. Ses valeurs, intégratives des diversités, renforcent pour ceux qui le pratiquent le sentiment d’appartenance.
Il s’ancre dans une communauté selon deux processus :
1) la transmission individuelle.
Les Français sont praticiens et détenteurs de ce patrimoine transmis de façon non formelle dans la famille, entre amis, de génération en génération et sans cesse recréé. Les savoirs, savoir-faire et rituels du repas gastronomique sont gardés, de façon informelle, par certains membres de la communauté (parents, grands-parents, tante, ami, etc.) qui en ont des connaissances approfondies et en gardent la mémoire. On les nomme « les gastronomes ». Ce sont eux qui
veillent à la pratique vivante des rites, et contribuent ainsi à leur transmission, orale ou écrite, particulièrement en direction des jeunes générations. L’enfant aide aux préparatifs, reçoit oralement et par l’exemple, façons de faire, d’agir, d’être, de dire. Sa présence à la table relève du rite d’initiation par ce qu’il suppose d’intégration des codes nés de l’observation. C’est le socle de la recréation. La transmission se fait aussi par l’école, la littérature, le cinéma et les
médias, les associations. Plus de 2000 associations, certaines très anciennes, maintiennent en France cette pratique dans la vie sociale, hors de la famille.
2) la transmission dans le continuum de l’histoire.
Les Français ont conscience que leur pratique actuelle est investie d’un sens hérité d’une histoire partagée, qu’elle porte des valeurs qui fondent la culture française : attachement à l’univers agricole (important dans l’imaginaire des Français, d’où leur attention aux bons produits) ; à la commensalité ; aux manières élégantes, à la conversation (le repas de la Haute Société transmis par la France révolutionnaire a inspiré les pratiques populaires) ; à l’idéal du

bonheur pour tous (héritage de la philosophie du XVIIIe siècle) et à l’idéal populaire d’opulence festive. Il rappelle leur histoire et leur procure ainsi un sentiment de continuité.
Par la valeur positive qu’est la convivialité, le repas gastronomique est un lieu de pacification, de partage, d'inclusion et de générosité. Il n’est aucunement contraire aux droits de l’homme. Il ouvre à la connaissance de l’Autre, au dialogue interculturel, à l’amitié entre les peuples. Il peut aider à l’insertion sociale, aux échanges intergénérationnels. Des associations favorisent les liens entre générations et cultures autour de repas gastronomiques, aident les personnes démunies à « réaliser les repas des plus beaux jours de leur vie (mariage, baptêmes, etc.) » telle « les Arts des mets ».
Le repas gastronomique utilise de préférence des denrées issues de la tradition des « terroirs » (par exemple en provenance des marchés) qui ont une haute valeur culturelle. Elles symbolisent
pour les Français, la qualité (gustative, nutritionnelle, sanitaire) et l'absence de standardisation qui découlent d’une interaction intelligente entre l’homme et l’environnement."
Participer d' un repas en France permet à l'étranger de connaître et apprécier vraiment le charactère français. 

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