18 février 2011

L'art du repas - Deuxième partie: des animaux gâtés à table

Qu'y a-t-il en commun entre la volaille de Bresse, l'escargot, et l'agneau du pré salé?

Le repas français est souvent le produit du rapport de l´homme avec la terre et l’environnement géographique dont le climat et ses conséquences ont un effet évident sur l’alimentation.  Les habitudes alimentaires d’une civilisation se développent au cours des générations dans ce contexte complexe et coordonné. Le paysage et le climat déterminent souvent la relation de l’homme avec les aliments. Le manque comme l’abondance ont été à l’origine des recherches et expérimentations avec des produits naturels qui ont enrichi la variété de choix sur la table française. Mais c’est notamment la relation particulière des gens avec l’aliment, une attitude distincte et caractéristique envers l’alimentation, le rapport intime avec le produit, soit végétal, soit animal, dans toutes les étapes du développement, une conception du partage de la table, qui leur sont typiques. On l’appelle le goût français qui a transformé la cuisine et la table en un art, voire une science, avec des codes, des manières propres, des « secrets » qui passent de génération en génération non seulement de bouche à oreille mais dans le comportement des individus. Il y a une recherche du plaisir autour de la table, le plaisir de voir, de savourer, de sentir un certain état physique, mais plus important que cela, le plaisir de la convivialité, de la société et les échanges émotionnels parmi les membres de la famille ou  les amis (Brondi, mars, 2005).
Cette attitude envers l’alimentation influence grandement la manière de traiter les produits que la terre offre à chaque région, dans chaque climat. L’expérience que de centaines d’années ont données aux cuisiniers ou cuisinières, les habitudes des peuples et leurs activités enrichissent également le traitement des produits. Traditionnellement, les Français ont développé et perfectionné plusieurs méthodes de conservation qui ne leur sont pas exclusives: la fermentation, le séchage, la fumaison, la préservation, la confiture. Mais certaines expériences exclusives manifestent notamment l’art culinaire particulier et donnent une vraie personnalité à la table française.Les traditions régionales imposent des spécialités caractéristiques et exclusives du territoire français. Pour la plupart, elles sont si anciennes qu’on assimile immédiatement le nom de la région avec le nom du produit : par exemple, le vin de Champagne.
Wikipedia

Quand on nomme la Bretagne par exemple,
le Mont Saint-Michel se présente tout de suite à l’esprit.
http://www.france.fr/en/photo/mouton-de-pre-sales

On voit les prés verts baignés et salés par les hautes marées de l’Atlantique, où les pasteurs font pacager leurs moutons dont la viande en absorbe le sel devenant ainsi une délicatesse bretonne. On l’appelle le mouton pré-salé (Fisher 15). Ce traitement de la viande animal n’est pas exclusif à cette région -on le retrouve ailleurs dans les havres de la Manche, à Regnéville-sur-Mer, Saint-Germain-sur-Ay, la Vanlée, mais c’est probablement à cause de l’histoire et du tourisme autour de Mont Saint-Michel que la mémoire en retient le souvenir. En dépit des marées prononcées sur ces plages, l’homme a réussi à exploiter tout simplement un cadeau de la nature.
Les escargots font immédiatement penser à la cuisine française, comme manger du chien nous fait penser à la cuisine vietnamienne, n’est-ce pas ?

Pourtant ces petits animaux ont joui de différents degrés de réputation depuis l’antiquité quand les Grecs et les Romains les appréciaient beaucoup selon le constatent les fouilles archéologiques des déchets alimentaires. « Ils les grillaient  dans leurs coquilles sans pré-cuisson tel que les Catalans et les Provençaux les mangent aujourd’hui » (Dominé 361). L’aristocratie française de l’Ancien Régime ne les mangeait que pendant les semaines de quaresme et les laissaient plutôt à la jouissance des plus pauvres, qui, eux, y ont appliqué leur génie créatif pour les faire passer plus facilement. Si bien on peut accepter que « les Français doivent seulement à Antonin Carême le due honneur gastronomique des escargots, depuis qu’il publia sa recette ‘à la Bourguignonne’ avec du beurre, de l’ail et du persil » (Dominé 361), il est bien probable qu’il n’aie fait que donner son nom à une préparation déjà établie depuis longtemps parmi les classes moins privilégiées de la société. Aristocratique ou indigent, l’escargot a trouvé sa place dans l’estimation gastronomique française grâce à des traitements spéciaux qui le rende comestible.
Si l’on parle de traitement spéciaux, on peut bien citer la volaille de Bresse dont les procédures d’élevage sont réglées et codifiées par la loi. Leur ration de fourrage doit être d’une certaine quantité de farine de maïs trempée dans du lait pour une période exacte de 35 jours, après quoi elle est libérée dans le pré où elle trouve son repas naturel sur une superficie stipulée de 10 m2 par individu, pendant 9 semaines pour un poulet, 11 pour une poularde, et 23 pour un chapon (le male castré) (Dominé 215). « Avant la distribution elle reste encagée pour éviter l’exercice et reçoit une alimentation de haute qualité qui ajoute une couche désirable de gras » (Dominé215). Les plus « nobles » sont les chapons et les poulardes que, réservés pour les festivités traditionnelles, sont traités comme des princes. On les plume soigneusement et on leur fait un bain de lait avant de les envelopper dans une toile cousue pendant deux jours ce qui permet de leur donner une forme régulière avant de les présenter au marché. Ce traitement princier ne finit pas au moment de la vente : le consommateur, fin connaisseur lui aussi, sait comment le faire cuire dans le four de sa cuisine pour conserver la saveur, l’arôme et la texture de sa chair (Dominé 216).  Même la présentation à table ressemble l’exposition d’un tableau de Leonardo de Vinci dans le Palais du Louvre. Pour cet événement, le gourmet devient spécialiste maître trancheur pour découper son chapon avec le soin et la révérence qu’il mérite. Après la longue cérémonie qu’apporte le chapon sur la table, c’est incroyable qu’il s’agisse d’un aliment !
-Dominé, André, ed. Culinaria France. Trad. de l’Aleman par Mo Croasdale, David Hefford, Michelle McMeekin, Elaine Richards, Tim Shepard en association avec First Edition Translation Ltd, Cambridge. Madrid, Könemann, 1999.
-Fisher, M. F. K. The Cooking of Provincial France. Time-Life Books Ed. Nederland, Time Life International, 1970.

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